Entretien avec Elodie Chaillou, ambassadrice 2025 de la Fête de la Science en région Centre-Val de Loire
Publié par Centre•Sciences, le 15 juillet 2025 22

« La culture scientifique représente, pour moi, le monde vu sous le prisme de ce qui est explicable ». C’est par ces mots qu’Élodie Chaillou décrit la culture scientifique aujourd’hui. Chercheuse engagée et médiatrice passionnée, elle a été choisie comme ambassadrice de la Fête de la science 2025 en Centre-Val de Loire, un rôle qu’elle endosse avec enthousiasme et conviction. Son objectif : rapprocher les citoyens de la recherche, valoriser les initiatives locales et susciter des vocations, notamment chez les plus jeunes. Elle portera haut les couleurs de la Fête de la science en région Centre-Val de Loire, incarnant ses valeurs d’ouverture, de partage et de curiosité.
- Elodie Chaillou, présentez-vous en quelques mots, votre parcours, vos thématiques de recherches…
J’ai toujours aimé les sciences, en particulier les maths et la chimie. L’envie de devenir laborantine est née à la fin du collège et j’ai choisi de partir préparer un bac en biochimie à Dreux que j’ai décroché en 1990. Comme j’étais très jeune, mes profs m’ont conseillé de poursuivre en classes préparatoires Biotechnologie. Il en existait 3 en France : Paris, Strasbourg et Toulouse. J’ai décroché Paris et préparé les concours aux écoles Agro et Agri à l’ENCPB (Ecole Nationale de Chimie Physique Biologie). J’ai ainsi intégré l’école nationale agronomique de Rennes, où j’ai suivi une spécialité en Physiologie et Productions animales. Ces trois années passées à l’Agro ont confirmé mon choix de m’orienter vers une carrière de chercheure à INRAE (l’INRA à cette époque). J’ai tout de suite trouvé un intérêt aux recherches de cet institut : associer la recherche fondamentale pour comprendre comment ça marche et la recherche appliquée pour être utile aux citoyens. Dès ma 2ème année à l’agro, j’ai participé à des projets de recherche en génétique animale dans un laboratoire INRA, à Rennes.
En 1996, j’ai passé un concours pour être Attachée Scientifique Contractuelle et initier des recherches en neurobiologie du comportement alimentaire de l’ovin (famille des chèvres et brebis). J’ai alors rejoint les centres INRA de Clermont-Ferrand puis de Tours pour réaliser ma thèse entre les deux centres. En 2000, j’ai passé un concours pour intégrer une unité de recherche sur la même thématique mais sur le modèle porcin (famille des porcs) dans une équipe à proximité de Rennes. En 2004, j’ai demandé une mobilité et j’ai eu la charge de développer la neurobiologie des émotions chez l’ovin dans une équipe « Comportement » à Nouzilly. Plus précisément, j’essaie de comprendre comment le contexte de l’élevage influence la neurobiologie des comportements sociaux et émotionnels. Les résultats que nous obtenons permettent de mieux comprendre comment les animaux perçoivent et interprètent leur environnement et d’accéder à leurs états émotionnels qui sont la clef de leur bien-être. Pour cela, j’étudie comportement et cerveau !
En parallèle, je mène depuis mon recrutement des actions de médiation scientifique. J’ai d’abord accompagné mon directeur de thèse, Yves Tillet, qui organisait la semaine du cerveau à Tours, j’ai participé aux fêtes de la science à Tours puis à Rennes. A partir de 2006, je me suis lancée dans des actions auprès du jeune public en allant dans les classes de CE2 au CM2 en milieu rural et en 2008, j’ai eu la chance de travailler en partenariat avec le réseau des bibliothèques de Tours. Ce partenariat a duré 10 ans et nous avons interagi avec plus d’un millier d’élèves. Mes collègues de l’INRA, les doctorants, puis les collègues de l’université de Tours se sont mobilisés pour animer les ateliers proposés à ces élèves. C’était assez incroyable de les voir découvrir le cerveau. A cette époque, le cerveau était absent des livres pour enfants, même des imagiers sur le corps humain ! J’ai ensuite eu la chance de bénéficier du soutien de la Région Centre Val de Loire puis de l’ANR pour poursuivre ma thématique avec un nouveau public, les collégiens. Ces projets sont réalisés en collaborations avec l’université de Tours, le CEA (NeuroSpin), l’INSERM, Centre·Science, La maison pour la science et Beauval Nature. Nos recherches sur Cerveau et Comportement sont un support assez exceptionnel pour aborder et comprendre des questions propres aux jeunes adolescent.es. Et de manière générale, tous les projets que je mène et partage avec les citoyens, permettent d’échanger sur la démarche de recherche, les métiers de la recherche, les biais d’interprétation…
- Que représente pour vous la culture scientifique ?
La culture scientifique représente, pour moi, le monde vu sous le prisme de ce qui est explicable. C’est une manière de comprendre comment le monde fonctionne, les mécanismes, la physique…
Quel en est votre engagement ? peut-être parler de ton implication dans le congrès (mais il sera passé quand on publiera donc à voir). Peut-être évoquer aussi le fait que tu sois impliquée dans le CA de Centre·Sciences et dans le projet TEEPEE.
Après 20 ans de carrière, je pense que je n’ai pas passé une année sans interagir avec des non scientifiques ! J’ai très vite interagi avec Centre·Sciences qui m’a accompagnée avec notre chargé de communication, Laurent Cario, pour intervenir lors de ciné-débat notamment à l’occasion d’un projet de recherche Neuro2Co. J’ai découvert EchoScience qui a été le moyen de partager les actions menées avec les collégiens de Château-Renault. L’idée de rejoindre Centre·Science comme adhérente puis d’intégrer le conseil d’administration a fini de germer et j’ai franchi le pas ! Dans le même temps, j’ai été sollicitée par mon institut de recherche INRAE pour rejoindre une cellule nationale dédiée à la médiation scientifique et participer à l’élaboration du projet TEEPEE de l’université de Tours. Même si ces différentes missions prennent une place plus importante dans mon emploi du temps, elles servent toujours les mêmes objectifs : Rapprocher les sciences et les citoyens ; Questionner les comportements et les neurosciences des animaux d’élevage avec les non chercheurs ; Avoir la démarche la plus inclusive possible en touchant les publics éloignés (en campagne) voire empêchés (personnes en EHPAD par exemple) ; Sensibiliser à la démarche de recherche.
- Vous êtes ambassadrice de la Fête de la Science 2025 en région Centre-Val de Loire, que représente la Fête de la Science pour vous ?
C’est un moment assez incroyable de rencontres entre tous les acteurs de la recherche (chercheur, techniciens, étudiants, …) et les citoyen.nes. Surtout mobilisée sur La semaine du cerveau pendant ma thèse, mes premières participations datent du début des années 2000 à Rennes. Nous étions sur la place de l’Opéra et nous avions pu sortir beaucoup de matériel en lien avec l’imagerie et les premiers dispositifs d’analyses d’image. C’était assez incroyable de voir autant de mini-laboratoires installés sous des barnums !
Depuis, je pense y avoir participé quasiment tous les ans ! Et ce qui me marque à chaque fois c’est la diversité des thématiques de recherche, qui s’appuient toutes sur des démarches assez similaires, et qui mobilisent une immense diversité d’outils et de techniques ! Dans un espace unique, toutes les personnes qui se déplacent pourront toucher, manipuler, vivre la recherche. Je trouve ça incroyable.
Et dans ces moments de la Fête de la Science, il ne faut pas oublier le plaisir que les personnels de la recherche, quels qu’ils soient, ressentent. Dans notre quotidien, nous devons gérer les travaux, les recherches de financements, les échecs, les articles à écrire, soumettre, défendre… Lors des fêtes de la science, ce quotidien laisse la place à des interactions directes, des échanges riches et diversifiés. Et il est très fréquent que l’ensemble des acteurs de la recherche reviennent enchantés d’y avoir participé. Nous avons tous et toutes des anecdotes émouvantes à raconter !
- Quel est votre projet pour la fête de la science en 2025 ?
J’ai la chance et l’honneur d’être l’ambassadrice pour La région Centre Val de Loire. Je peux même dire que je suis assez fière ! Ce sera l’occasion pour moi de témoigner et de promouvoir toutes les recherches menées dans la région. Cela ne m’empêche pas de motiver mes collègues pour proposer de nouvelles activités afin de découvrir les recherches menées à INRAE et en particulier dans notre unité de recherche. Et la thématique s’y prête encore plus que les années précédentes !
- Que vous inspire la thématique « Intelligence(s) » cette année ?
Je repense d’abord aux questions qui reviennent régulièrement lors des ateliers menés avec le jeune public : « Est-ce que la taille du cerveau est liée au niveau d’intelligence ? », « Est-ce que le chien est plus intelligent que le chat ? », « Est-ce que les plantes c’est intelligent ? », « Faut-il un cerveau pour être intelligent ? »…. Ensuite, je me dis que je n’aurais probablement pas répondu les mêmes choses il y a 20 ans ! Tout particulièrement avec le développement phénoménal de l’intelligence artificielle (que personnellement j’aimerais renommer intelligence numérique) !
Ensuite, comme pour la thématique des émotions, des états affectifs, la thématique « Intelligence(s) » mérite d’être vue dans un cadre historique. Toutes ces caractéristiques étaient réservées aux êtres humains, être supérieur, or aujourd’hui la question est un peu moins anthropocentrée et surtout de nombreux travaux en éthologie et en neurosciences ont illustrent les nombreuses capacités du règne animal. Au-delà des êtres vivants qui disposent d’un cerveau, les humains ne peuvent pas nier les grandes capacités d’adaptation du monde vivant ! Cette adaptation est une forme d’intelligence.
Et finalement, aborder cette thématique à l’occasion de la fête de la science sera une opportunité assez unique de mêler toutes les disciplines scientifiques, de regarder l’intelligence sous le prisme de l’histoire des sciences, et de se rappeler que la cellule est l’entité la plus petite qui participe à l’intelligence du vivant.
- Avez-vous une petite anecdote sur une action de culture scientifique ? Sur votre recherche ? Racontez-nous…
Lors d’une intervention en classes de CE-CM, le professeur des écoles avait demandé aux élèves de compléter quelques phrases comme : « Mon cerveau sert… ». Parmi les réponses les plus courantes (mon cerveau sert à réfléchir, à apprendre, à bouger, …), quelques-unes m’ont particulièrement touchée et même interpellée ! « Avec mon cerveau on est les meilleurs amis », « mon cerveau me fait faire des bêtises » et « le cerveau est le seul organe qui pense à lui-même ».
Et pour finir, j’ai envie de partager deux anecdotes mais qui ne sont pas directement liées à mon activité de recherche mais plus à deux souvenirs qui sont ce que j’appelle mes révélations scientifiques. La 1ère, je la dois à mon professeur de Biochimie au lycée Rotrou (Dreux). Notre prof qui avait une thèse sur les papillons a écrit 4 lettres au tableau : A, C, T, G. Il s’est retourné et nous a dit « vous voyez ces 4 lettres, c’est comme de la lessive, il y a plein de marques différentes mais à l’intérieur on trouve la même chose. Et bien c’est 4 lettres, sont les quatre bases de l’ADN et font que nous sommes tous si semblables et si différents ». La 2nde, je la dois à la personne qui allait devenir mon directeur de thèse. Je venais le rencontrer pour un entretien et il m’a assise derrière un microscope pour y voir des neurones d’encéphale de brebis. Et j’ai trouvé ça incroyable. Etre capable de voir ces cellules qui font notre pensée, notre mémoire, nos comportements, qui contrôlent nos organes… c’est juste incroyable. Et comme quelqu’un me l’a rappelé il y a peu de temps, nos interventions à la fête de la science sont de purs moments d’émerveillement. Je tiens à remercier Béatrice Saulnier (Centre·Sciences) pour me (nous) l’avoir rappelé. Ça donne encore plus de sens à nos métiers de la recherche.
- Un petit mot pour conclure
Que la fête de la science nous émerveille.
Dans cette édition 2025 placée sous le signe des intelligences, Élodie Chaillou incarne une vision ouverte, plurielle et profondément humaine de la science. Spécialiste du comportement animal, ses travaux sur les ovins et porcins interrogent notre rapport au vivant, à l’émotion, à la cognition, et nous rappellent que l’intelligence ne se résume ni à la performance ni à l’espèce. En tant qu’ambassadrice de la Fête de la science en Centre-Val de Loire, elle portera haut cette richesse des intelligences, en partageant avec passion son savoir, ses questionnements et sa curiosité. À ses côtés, c’est tout un public qui sera invité à explorer les multiples formes d’intelligence qui peuplent notre monde, et peut-être à en découvrir de nouvelles en soi.
Retrouvez le programme complet de la Fête de la Science dès septembre sur le site de Centre-Sciences