Communauté

Fête de la Science

Les bords de route : un réservoir de biodiversité ?

Publié par Université de Tours, le 6 octobre 2020   1.3k

Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.


Enseignante-chercheuse en géographie de l'environnement, Université de Tours

Maîtresse de conférences en écologie, Université de Lorraine

La première image qui nous vient à l’esprit lorsque nous pensons à la biodiversité n’est certainement pas un bord de route… Et pourtant, les dépendances vertes – ces bordures végétalisées qui accompagnent les infrastructures routières, pour des raisons de sécurité – sont aujourd’hui considérées comme des supports potentiels de biodiversité.

En effet, une grande partie de l’espace, en France comme dans la plupart des pays d’industrialisation ancienne, est aujourd’hui profondément marquée par l’occupation humaine, agricole ou urbaine. À tel point qu’on ne parle plus d’espaces naturels, en entendant par là des espaces non touchés par l’action des sociétés. Même les espaces semi-naturels, c’est-à-dire non imperméabilisés et non retournés chaque année (avec une végétation pérenne, boisée ou herbacée), sont rares et surtout discontinus.

Ils sont rares, depuis la diminution spectaculaire des prairies permanentes commencée dans les années 70, et discontinus, depuis la raréfaction du réseau de haies qui a accompagné la mécanisation et l’agrandissement parcellaire, depuis les années 50-60.

Or la continuité des espaces semi-naturels est aujourd’hui reconnue comme un gage de conservation de la biodiversité, car elle permet le déplacement de nombreuses espèces entre leurs habitats, déplacements qui sont indispensables pour disposer de ressources suffisantes tout au long du cycle de vie, là où les espaces semi-naturels sont rares. Il s’agit d’espèces animales mais aussi végétales, ces dernières pouvant se disperser par le biais de différents vecteurs dont les animaux.

Couloirs de déplacement

Les dépendances vertes constituent justement un milieu pérenne – un couvert herbacé- et continu -elles longent le réseau routier, présent partout et en augmentation. Elles ont ainsi un double intérêt : elles sont utilisées comme des petits habitats de remplacement d’un couvert prairial étendu, par beaucoup d’espèces comme les orchidées.

De surcroît, par leur forme étroite et linéaire, les bords de route peuvent être utilisés comme des couloirs de déplacements entre des habitats éloignés (des corridors écologiques), par des espèces comme, par exemple, beaucoup d’insectes pollinisateurs. Dans les plaines cultivées, les drastiques changements d’occupation du sol qu’ont connus les paysages de grande culture aux cours des dernières décennies, conjugués à l’essor du réseau routier, font des dépendances vertes routières un habitat et un corridor potentiels pour de nombreuses espèces.

À lire aussi : De la nature en ville : conversation entre une philosophe et un architecte

Alors, comment favoriser la conservation de la biodiversité dans ces milieux créés au fil du temps par les humains pour le transport des personnes et des marchandises ? Dans cet objectif, des études montrent l’importance des caractéristiques spatiales des dépendances vertes : la largeur, les caractéristiques des fossés et des talus qui peuvent les accompagner, le substrat, mais aussi le mélange d’espèces utilisé au moment du semis.

D’autres travaux montrent le rôle des différentes modalités de gestion des dépendances vertes sur leur capacité d’accueil de la biodiversité : gestion chimique (par les herbicides, modalité aujourd’hui très limitée sur cet espace), gestion animale (par le pâturage) ou bien gestion mécanique, qui est prépondérante. Pour les opérations mécaniques nous savons que le type de coupe de l’herbe – par fauche ou par broyage, sa hauteur, sa fréquence et sa périodicité, jouent un rôle sur la reproduction et le maintien de certaines espèces animales et végétales.

« Pratiques raisonnées »

Depuis plusieurs années en France et dans d’autres pays européens, des pratiques de gestion mécanique des bords de route dites « raisonnées », sont expérimentées dans l’objectif affiché de conforter la biodiversité. Ces pratiques reposent généralement sur une augmentation de la hauteur de coupe de l’herbe, une diminution de sa fréquence et un retard de la première date de coupe.

Toutefois, les effets de ces modifications de pratiques sont complexes, et les résultats attendus ne sont pas toujours au rendez-vous.

À titre d’exemple, des études conduites en Touraine sur le réseau routier le plus dense, celui des routes départementales, montrent qu’une coupe tardive (à la fin de l’été) effectuée sur la berme, qui est la partie du bord de route la plus proche de la chaussée, n’augmente pas la diversité végétale, et favorise la dominance d’espèces nitrophiles (qui se développent préférentiellement sur les sols riches en nitrates). Ceci est probablement en relation avec le fait que la coupe ne s’accompagne généralement pas de l’export de l’herbe coupée, qui se décompose sur place, enrichissant ainsi le sol.

En outre, sur les bermes, c’est la coupe précoce qui est corrélée avec l’augmentation de la diversité végétale. Mais ce n’est pas tout : des pratiques « raisonnées », comme la coupe tardive (sur la berme) et une seule coupe (sur le talus, qui est la partie la plus proche du fossé), conduisent à l’augmentation de certaines « mauvaises herbes » dans la bordure intérieure des champs cultivés adjacents.

En Touraine, ceci conduit souvent les agriculteurs riverains d’une route à couper l’herbe non seulement sur leurs bordures de champs mais aussi sur les talus routiers, qui sont donc soumis à une double gestion, routière (officielle) et agricole. Cet élément, issu d’enquêtes de terrain, est crucial pour connaître la réalité de la gestion des bords de route et évaluer l’efficacité des pratiques mises en place par les gestionnaires officiels des dépendances vertes.

La gestion « raisonnée » induit une gestion agricole des talus, et parfois même des bermes, de la part de beaucoup d’agriculteurs qui exploitent les parcelles limitrophes à la route, par crainte d’augmentation du risque malherbologique (augmentation des « mauvaises herbes ») dans leurs champs.

Il existe tout un gradient de modalités de gestion agricole des bords de route, qui est liée à la gestion des parcelles cultivées adjacentes : depuis une gestion intensive (coupe régulière sur le talus et la berme) jusqu’à l’absence d’intervention d’agriculteurs qui gèrent peu les « mauvaises herbes » aussi dans la parcelle cultivée adjacente (faible utilisation d’herbicides).

Changer de perspectives

Cette diversité de pratiques est en relation avec les représentations des bords de route, qui sont majoritairement négatives, mais parfois positives ou neutres. Les représentations négatives le sont sous l’angle de la sécurité routière (la gestion raisonnée étant accusée de réduire la visibilité par le développement excessif de la végétation) et du risque malherbologique.

Les représentations positives des bords de route sont le fait d’agriculteurs qui disposent de surfaces de grandes dimensions, où la part des bords de route dans l’emprise spatiale des exploitations agricoles est faible.

Donc, si les bords de route ne sont pas à proprement parler des réservoirs de biodiversité, ils ont un rôle considérable pour conforter la présence d’espèces associées aux prairies permanentes en diminution. Mais, pour les gérer de façon optimale pour la biodiversité, il est indispensable d’élargir le regard aux milieux adjacents aux routes, et notamment aux champs cultivés qui les longent en grande partie.

À lire aussi : En Sologne, la biodiversité est-elle menacée par les clôtures ?

L’augmentation de la largeur des dépendances vertes, en particulier de la berme, pourrait contribuer à conserver la biodiversité sur la partie du bord de route la plus éloignée du champ et la moins sujette à la gestion agricole. Mais, surtout, le ramassage de l’herbe coupée (dit “exportation de la biomasse”), augmenterait l’intérêt des bords de route pour la biodiversité, en réduisant le caractère nitrophile de la végétation qui s’y développe.

Il ne s’agit pas simplement de diminuer le nombre d’opérations de gestion, ce qui peut être source d’avantages économiques mais pas écologiques, mais bien plus de raisonner leurs effets sur les populations végétales et animales, et leur intégration dans les espaces agricoles.