[THE CONVERSATION] Maltraitance infantile : comment la violence actuelle induit la violence future
Publié par Inserm iBraiN Université de Tours, le 23 novembre 2023 720
Maltraitance infantile : comment la violence actuelle induit la violence future
Catherine Belzung, Université de Tours
Selon Organisation mondiale de la Santé, au cours de l’année écoulée, on peut estimer que jusqu’à 1 milliard d’enfants âgés de 2 à 17 ans ont été victimes de maltraitance infantile.
Derrière cette expression se cachent la maltraitance physique (coups et blessures infligées à des enfants), la maltraitance émotionnelle (atteintes à l’estime de soi), les abus sexuels et la négligence. À cela, il faut ajouter les enfants qui sont exposés à des traumas infantiles, liés à des situations de violence, comme un terrain de guerre. Ces diverses formes de maltraitance et de traumas infantiles sont malheureusement fréquentes : par exemple on estime qu’au niveau mondial la prévalence est de l’ordre de 12.7 % rien que pour les abus sexuels.
Or, les conséquences de ces maltraitances se font sentir durant des années, voire des décennies, et même se perpétuer au-delà de l’existence des victimes.
La maltraitance infantile a des conséquences durables
Les conséquences de la maltraitance infantile sont dévastatrices puisqu’elles induisent des altérations du fonctionnement émotionnel, cognitif et social des sujets, altérations qui persistent une fois que les victimes sont devenues adultes.
Les conséquences peuvent être non seulement des pathologies psychiatriques telles que l’anxiété généralisée, la dépression, les états de stress post-traumatique, les addictions, mais aussi des pathologies métaboliques comme l’obésité. Ainsi, 46 % des adultes souffrant de dépression reportent avoir été victimes de maltraitances dans leur enfance, ce qui est un taux très élevé. Par ailleurs, certaines victimes de maltraitance reproduisent ce qu’ils ont subi enfant, et deviennent à leur tour des prédateurs.
De façon intéressante, ces altérations du fonctionnement psychologique ont été identifiées non seulement dans les cas où la maltraitance s’est traduite par des violences physiques (coups, viols), mais aussi dans les cas où les actes de maltraitance n’ont pas été associés à des atteintes physiques, comme c’est le cas avec les maltraitances émotionnelles ou la négligence. Ces effets sont persistants sur le long terme puisqu’elles peuvent se transmettre sur plusieurs générations, en particulier au travers d’un déficit de l’attachement.
Dès lors, on peut se demander si les séquelles des diverses formes de maltraitance induisent des conséquences biologiques, en plus des conséquences psychologiques.
La maltraitance infantile induit des conséquences biologiques
Les faits concernant de potentiels effets biologiques des maltraitances infantiles sont bien documentés. On sait notamment que la maltraitance et les traumas infantiles induisent une augmentation de marqueurs de l’inflammation et des hormones du stress. Ils sont aussi associés à des altérations de l’expression des gènes qui persistent jusqu’à l’âge adulte.
En outre, des altérations cérébrales morphologiques et fonctionnelles cérébrales ont également été constatées, comme une diminution du volume du cortex préfrontal (une zone importante pour la régulation des émotions, la planification de l’action, la flexibilité cognitive) et de l’hippocampe (une zone importante pour la mémoire) ou une augmentation de l’activité de l’amygdale (une zone impliquée dans l’anxiété et le stress). Par ailleurs, une altération de la connexion entre le cortex préfrontal et l’amygdale a également été observée, ce qui explique probablement les difficultés de régulation émotionnelle.
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Les conséquences des maltraitances se traduisent également par des modifications sur le plan cellulaire, comme des altérations au niveau des oligodendrocytes (les cellules qui forment la gaine entourant les faisceaux de fibres cérébrales) dans une sous-partie du cortex préfrontal, ce qui atteste à la fois du fait que la maltraitance induit des modifications morphologiques durables, et de leur impact fonctionnel.
Il est important de souligner que ces changements biologiques ne sont pas transitoires et limités à la période de l’enfance, mais qu’ils altèrent le développement du sujet et persistent jusqu’à l’âge adulte, voire bien au-delà, influant également sur les descendants des victimes.
Des conséquences biologiques durables
Il a été démontré que certaines des altérations biologiques résultant de maltraitances infantiles peuvent se transmettre aux générations suivantes, c’est-à-dire aux enfants, voire aux petits-enfants des personnes exposées à la maltraitance et à la violence.
C’est le cas par exemple des effets sur les hormones du stress, dont le niveau élevé est retrouvé chez les descendants de mères qui avaient subi un trauma pendant leur enfance ; il en est de même pour certaines altérations cérébrales. Par ailleurs, l’altération de l’expression des gènes peut quant à elle se transmettre sur plusieurs générations.
Cela donne le vertige quand on pense à certains contextes familiaux, mais aussi aux situations de guerre, puisque le cercle vicieux de la violence peut ainsi se perpétuer de génération en génération, mettant en péril la cohésion sociale entre les personnes - et les peuples ? - dans un cycle sans fin.
La situation est-elle sans espoir ?
Fort heureusement, n’est pas totalement désespérée. Des mesures efficaces existent, qui permettent de stimuler la résilience, comme le support social à l’école ou lors des activités extrascolaires. Certaines psychothérapies, comme les thérapies cognitivo-comportementales, ou la participation à des programmes inclusifs et à des interventions psychosociales impliquant des communautés entières, ont aussi fait leurs preuves.
Il faut donc être vigilant à les rendre disponibles dans les communautés les plus à risque, en particulier dans des pays ayant été confrontés à des situations de violences armées. Ce pourrait être l’un des leviers pour arriver à une paix durable.
Catherine Belzung, Professor, Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.