La mobilisation d’une commune en faveur de la prévention du gaspillage alimentaire dans le Loiret

Publié par Muriel Feinard-Duranceau, le 8 juin 2023   550

La mobilisation d’une commune en faveur de la prévention du gaspillage alimentaire dans le Loiret.

Muriel Feinard-Duranceau 1*, Cathy Gemon 2, Geneviève Pierre 2

1 Université d'Orléans, INSPE CVL, laboratoire ERCAE

2 Université d'Orléans, CEDETE

*muriel.feinard-duranceau@univ-orleans.fr

Le programme de recherche GASPILAG porté par le CEDETE (Centre d’Etude sur le Développement des Territoires et l’Environnement, Université d’Orléans) est financé par la région Centre Val de Loire pour la période 2020-2024 (Pierre, 2023). Il rassemble 4 laboratoires de recherche dont ERCAE (Equipe de Recherche Contextes et Acteurs de l’Education). Ce programme analyse les déterminants de la prévention du gaspillage alimentaire. Au-delà de l'étude des perceptions du gaspillage et des comportements de prévention à tous les stades de la chaîne d'alimentation, le programme postule l'intérêt d'une approche à sensibilité territoriale avec une mobilisation locale qui pourrait encourager la prévention du gaspillage alimentaire. Le territoire pourrait alors ne pas être uniquement considéré comme un contexte mais aussi comme un acteur éducatif (Barthes et Champollion, 2012). Les actions alimentaires « antigaspi » participent-elles à une réflexion éducative globale ? Un transfert est-il possible de la cantine vers les enfants ? Des enfants/de la classe vers la famille ?

Dans le cadre de ce programme nous nous sommes intéressées à la commune d’Ingré. Cette commune de 9 777 habitants[1] du centre Val de Loire est à 8 kilomètres au nord-ouest d’Orléans, il s’agit donc d’une commune de l’agglomération orléanaise, aux portes de la Beauce. D’une superficie de 2082ha, Ingré est la 3ème commune de la Communauté Urbaine d’Orléans Métropole[2]. Reconnue par le programme « territoires engagés pour la nature[3], Ingré est investie dans une démarche de Développement Durable et d’Education au Développement Durable. En effet, la commune fait figure de ville « pro-active » sur les questions reliées à la transition écologique, dans laquelle elle affiche une ambition forte. Ville « zéro pesticide », sa volonté d’économiser les ressources et de réduire les gaspillages se retrouve dans l’Agenda 21 de la Ville. Les axes « réduction des déchets » et « éducation à l’environnement » prennent une place importante et sont sujets à communication. Les actions visent surtout les écoles maternelles et primaires et les restaurants collectifs scolaires, dont les compétences reviennent aux communes. La ville se voit ainsi attribuée des labels comme le label «école éco-exemplaire »[4] décerné par Orléans Métropole ou « Mon restau responsable ». Mais l’ambition ne s’arrête pas aux écoles. Les acteurs du territoire sont présents lors d’ateliers ou d’événements, comme les « Assises de la transition écologique d’Orléans Métropole » ayant eu lieu en 2020-2021[5], montrant un investissement fort de leur part, et la commune est citée comme « agissant déjà »[6]. Elle est d’ailleurs présentée comme ayant une ambition « anti-gaspi ». Et puis, une association portant des objectifs de transition est présente sur son territoire : l’association Ingré-Ormes 2030 qui s’inscrit dans la démarche des « villes en transition » et dont l’un des objectifs est la réduction du gaspillage et des déchets[7]. La commune accueille également des ateliers ou des événements liés à la transition écologique, et propose des sentiers pédagogiques.

Il nous a donc semblé intéressant de nous focaliser sur cette commune dans l’objectif d’établir un état des lieux des actions mises en place en termes de prévention au gaspillage alimentaire et des transferts éducatifs éventuels. Pour ce faire, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de la mairie d’Ingré (septembre 2021), du responsable de la restauration collective de la ville pour les 2 groupes scolaires (octobre 2021) et de la directrice d’une des deux écoles d’Ingré (juin 2022).

Les actions menées par la mairie

Nous avons pu nous entretenir dans un premier temps à la mairie avec le chargé de mission « transition écologique » et l’animateur « éducation à l’environnement » impliqué sur le thème de la réduction des déchets et du gaspillage alimentaire. Outre l’intervention de cet animateur auprès des élèves sur le temps du repas au restaurant collectif, la commune s’investit dans d’autres projets, comme lors de la semaine européenne de réduction des déchets. L’existence d’un composteur rotatif depuis dix ans dans la commune représente d’ailleurs un support intéressant pour mener des actions. Ce composteur est « alimenté » par les biodéchets des deux groupes scolaires à l’aide d’un « cycloposteur » (De l’association « Les cycloposteurs » qui assurent la collecte de bio-déchets et leur transport, à vélo, dans certains établissements (scolaires, commerciaux…) de l’agglomération orléanaise[8]) et permet des pesées quotidiennes. Par ailleurs, au sein de la restauration scolaire des pesées sont envisagées deux fois par semaine pour les produits biodégradables issus des restes de plateaux et des restes de production. Le compost issu du composteur est pour l’instant utilisé au niveau des jardins participatifs de la commune ou par les agriculteurs sachant qu’à partir de janvier 2024 tous ces biodéchets devront être traités comme une ressource (Conformément à la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi anti-gaspillage[9]).

Les actions mises en place pour les deux groupes scolaires, lors du temps de la pause méridienne, consistent en des défis « tris/actions ». Les agents de la restauration scolaire sont associés aux actions en amont. Cette collaboration permet par exemple de dialoguer sur les quantités servies et sur les choix des élèves ; néanmoins, ce sont les animateurs (un par classe) qui gèrent les actions sur le temps du repas de midi. L’objectif est de sensibiliser et de prévenir grâce à des animations diverses, sur l’alimentation durable, sur l’adaptation des quantités, avec des temps forts tout au long de l’année.

Au-delà de la loi Egalim (30 octobre 2018), la ville d’Ingré affiche une certaine volonté politique de s’inscrire dans la démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire, attestée par son implication dans le réseau « Mon restau responsable »[10]. Cette volonté politique, couplée à une implication du responsable de la restauration sur ces questions, a permis une amélioration des pratiques en restauration scolaire : fromage à la coupe, fromage blanc en coupelle, portion « petite faim » et « grande faim ». Néanmoins il est à noter que des problématiques administratives et techniques liées aux modalités de commandes, aux logiciels utilisés ainsi qu’aux habitudes des agents de restauration représentent des contraintes et des freins :

- Il est par exemple compliqué de diversifier les approvisionnements, ce qui n’est pas compatible avec l’idée de s’approvisionner localement. La Mairie d’Ingré a, en effet, fait le choix d’utiliser les services d’une société extérieure (Aga-pro) pour ses marchés en produits alimentaires plutôt que le circuit de produits locaux de proximité pour les professionnels « Appro-local »[11]. Cela permet de rechercher les meilleurs prix et de ne pas multiplier les démarches (bons de commandes, livraisons, factures). Ce choix est aussi justifié par le fait que cette société offre la possibilité de n’avoir qu’une facture mensuelle et établit les tableaux statistiques d’objectifs en regard de la loi Egalim.

- Les personnels impliqués en production (cuisinier, personnels au service) craignent de manquer de quantités en fin de service, il est donc difficile de se projeter au plus juste sur les commandes face à ce dilemme.

Comment arbitrer/équilibrer entre la diminution des quantités et le risque de manquer ou de donner des portions insuffisantes ? Comment gagner en capacité économique de commande alors que, par ailleurs, en commandant de grandes quantités, on peut faire des économies d’échelle qui permettent de diminuer le coût à l’unité du produit acheté ?

Dans ces démarches, le coût du gaspillage n’est pas pris en considération par le service restauration, dans la mesure où le service n’a pas de connaissance des coûts d’achats alimentaires engagés : nous pouvons nous interroger sur le fait qu’il serait pertinent que ces budgets soient présentés et connus des différents services (et non « opaques » comme c’est le cas actuellement) afin de modifier les approches.

La démarche « mon restau responsable » a permis d’impliquer les élèves délégués. Des réunions ont pu être envisagées entre les élèves, les directeurs d’écoles et les animateurs de la pause méridienne pour mettre en place diverses actions comme un jury « repas végétarien » ou encore questionner les délégués et les parents d’élèves sur des actions judicieuses à mettre en place par le service de restauration. La commune envisage aussi des activités avec des ateliers en direction des habitants d’Ingré comme des ateliers cuisines, ateliers jardinage, rucher pédagogique, ateliers zéro déchet, et un service de tri avec des points de récupération.

Les actions menées au niveau du service de restauration scolaire de la commune d’Ingré

L’entretien mené avec le responsable de la restauration des deux groupes scolaires d’Ingré a été riche d’enseignements sur le fonctionnement d’une telle structure, et a permis de mettre en avant un certain nombre de freins inhérents aux règles à respecter.

La fabrication du repas et le service se font sur place : 850 à 900 repas par jour, sans compter le portage de repas à domicile (60 à 70 repas par jour). Comme nous l’avait précisé la mairie, le service s’implique dans la SERD (semaine européenne de réduction des déchets) et dans la labellisation « mon restau responsable ». Cette dernière vise à augmenter les quantités de légumes frais en accompagnement du plat, à créer des interventions avec les délégués de classes dans les écoles, et à suivre les réglementations de la loi Egalim (30 octobre 2018), dont la distribution de gourdes pour éviter les bouteilles en plastique, ou l’usage de plastiques « biosourcés ». Les produits labellisés et bio sont depuis 2019 de plus en plus intégrés dans les menus, sans que cela nuise à la maitrise du budget alimentaire ; au dernier trimestre 2021, la restauration collective d’Ingré intègre 50% de produits bio labelisés. Néanmoins, le responsable restauration collective de la ville d’Ingré souligne la complexité d’approvisionnement en bio, et il a dû parfois déplorer que des produits ne soient finalement pas livrés. Par ailleurs, suivre la loi Egalim (Bio, label Rouge, IGP et du labelisé local, un repas végétarien par semaine) s’avère complexe. En effet les producteurs bio et locaux, pour peu qu’il y en ait à proximité, n’ont pas toujours assez de produits au regard des quantités nécessaires, occasionnant la multiplication des bons de commandes, des livraisons en petites quantités par de nombreux producteurs, sans oublier le temps passé à la réception des marchandises. Ces contraintes logistiques compliquent les démarches ; sans oublier le prix des produits qui peut être du simple au double, entre un produit labelisé bio et un produit non bio. D’où le choix de la mairie d’Ingré qui s’est tourné vers une société extérieure (Aga-Pro) qui limite ces freins plutôt que d’avoir recours au circuit de proximité « Appro-local » comme expliqué précédemment.

Par ailleurs, une inégalité territoriale est pointée face aux exigences de la loi Egalim car il est difficile de trouver des produits locaux et de saison attractifs dans le Loiret (en hiver pomme/poire/choux). Enfin une contrainte supplémentaire est due au fait que les menus sont élaborés trois mois à l’avance (avec le service jeunesse et avec les parents) ; il n’est donc pas possible de s’adapter à des arrivages de dernière minute. Cela montre l’extrême complexité des différents éléments à prendre en compte dans la prévention du gaspillage alimentaire, parfois contradictoires. Toutefois, l’élaboration des menus, en concertation avec la fédération des élèves et le service jeunesse est bien évidemment un point positif, permettant un échange global sur la restauration, et de faire comprendre à tous les principes d’une alimentation durable, choisie.

Ainsi, certaines actions ont été mises en place : sont proposés en choix aux enfant deux entrées, avec une plus copieuse que l’autre, et ajustement des quantités à l’assiette. Le fromage est disponible à la coupe et le fromage blanc est servi en ramequin, à 90% : cette dernière logistique est lourde pour le personnel de service et demande à être réexaminée. Une table de tri permet la gestion des déchets (emballage plastique, déchets alimentaires et autres), et les déchets alimentaires sont transportés au composteur.

Les animateurs de la mairie aident pour le service et pour l’usage de la table de tri.

Quel lien Mairie-cantine-Ecole ?

Les entretiens montrent que ce qui est fait à la cantine par les animateurs en matière de prévention du gaspillage alimentaire, d’alimentation durable et économe, n’est pas forcément suivi par des actions pédagogiques à l’école. Pourtant, une commission « restauration » en lien avec les écoles existe. Elle se tient dans la salle de restauration de l’école Victor Hugo avec deux réunions annuelles, en présence des délégués de classe, du service de restauration et du service jeunesse de la commune. Ces réunions permettent d’échanger sur un thème au choix des élèves. L’animateur de la mairie se met à la disposition des écoles si elles le souhaitent. Ainsi, un petit déjeuner « Bio » est mis en place avec les classes de Grande section de maternelle et de CE2 d’un des groupes scolaires et les classes de Grandes sections de maternelle de l’autre groupe scolaire. Ce petit déjeuner Bio s’est poursuivi dans un des groupes scolaires par une animation en classe sur l’équilibre alimentaire (en classe de Grande section de maternelle et de CE2). La mairie fait le lien entre l’école et les services de la commune. L’animateur de la mairie fait connaitre à l’école les projets menés tels que la mise en place de ruches, un parcours nature, une aire pédagogique « hors l’école » ; les enseignants peuvent réserver des animations. Lorsqu’ils en bénéficient, les enseignants s’appuient sur ces animations pour travailler sur certains thèmes en classe. Les actions de tri menées à l’école ne sont pas directement en lien avec l’alimentation ; les écoles fonctionnent depuis longtemps avec cette démarche de tri pour tout type de matériel comme les bouchons, les piles, les crayons, le papier, en lien avec des associations locales notamment (« Clara », terracycle, …) sous l’impulsion de la mairie. L’équipe enseignante, dans sa grande majorité, adhère à cette démarche, ainsi que les élèves. Il est un peu plus compliqué, semble-t-il, de mobiliser les familles, au-delà des parents d’élèves élus, dans ces actions en lien avec l’école.

Les entretiens réalisés durant l’année scolaire 2021-2022 font également référence à une dynamique malmenée par la période COVID et par les mesures sanitaires, avec par exemple l’usage de gobelets, de serviettes jetables, de bouteilles en plastiques qui ont généré beaucoup de déchets comparativement aux mesures qui étaient en place auparavant. Néanmoins, nous retenons que des actions mises en place avant le COVID, telles que le fromage à la coupe, sont à nouveau mobilisables, et remobilisées progressivement, avec le « retour à la normale », post COVID.

Bibliographie :

Barthes A., Champollion P., 2012, « Education au développement durable et territoires, évolution des problématiques, modification des logiques éducatives, et spécificité des contextes ruraux ». Education relative à l'environnement, regards. Recherches. Réflexions, n°10, Québec, pp.36-51.

Pierre G., 2023. Envisager la question du gaspillage alimentaire par une approche territoriale : le programme régional GASPILAG, article publié le 01/03/2023 dans La culture scientifique dans les Projets de Recherche d’Intérêt Régional (https://www.echosciences-centre-valdeloire.fr/communautes/la-culture-scientifique-dans-les-projets-de-recherche-d-interet-regional/articles/pourquoi-envisager-la-question-du-gaspillage-alimentaire-par-une-approche-territoriale-une-reponse-avec-le-programme-regional-gaspilag)

Loi Antigaspillage, LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) NOR : TREP1902395L

Loi Egalim, Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) NOR : AGRX1736303L


[1] Selon le dernier recensement officiel de l’INSEE au 1er janvier 2023 https://www.ingre.fr/vivre-ingre/presentation-de-la-ville/carte-didentite

[2] https://www.ingre.fr/vivre-ingre/presentation-de-la-ville/carte-didentite

[3] https://www.youtube.com/watch?v=RcaKUcFxRzg

[4] https://www.youtube.com/watch?v=CWHoig6yc8w

[5] https://www.larep.fr/ingre-45140/actualites/soixante-deux-actions-pour-la-transition-ecologique_13959587/

[6] https://www.orleans-metropole.fr/dechets/fiches-pratiques/assises-de-la-transition-ecologique-retour-sur-la-premiere-etape-du-theme-reduction-des-dechets

[7] https://ingreormes2030.wixsite.com/io2030

[8] https://www.lescycloposteurs.fr/

[9] https://www.ecologie.gouv.fr/biodechets#scroll-nav__1

[10] https://www.monrestauresponsable.org/

[11] https://www.approlocal.fr/