Chêne sessile et chêne pédonculé une nouvelle approche pour les reconnaître ?

Publié par Emilie Destandau, le 19 décembre 2021   2k

Le bois de Chêne jusqu’au XIX siècle, était la principale essence utilisée en Europe dans la construction navale et la construction des charpentes. C'est aujourd'hui encore une essence très prisée, notamment pour la fabrication des tonneaux dans lesquels les vins et spiritueux sont vieillis.

Le fût de chêne n’est pas un simple contenant, il transmet de nombreux composés aux vins qu’il contient et en modifie les propriétés sensorielles. Aujourd’hui, il n’est plus employé pour le transport des boissons mais est devenu un outil essentiel pour l’élevage des vins et spiritueux qui bénéficient d’une complexité et d’une originalité qui leur sont propres, grâce à l’élevage sous-bois.

Deux espèces proches morphologiquement…

Deux espèces de chênes sont dominantes dans les forêts françaises : les chênes Pédonculés (Quercus robur L.) et les chênes Sessiles (Quercus petraea Liebl.) couvrant environ 6 million d’hectares. Elles jouent par conséquent un rôle très important dans l’économie du bois. Pour les distinguer en forêt il faut s’appuyer sur leurs caractéristiques morphologiques notamment sur les feuilles ou les glands qui ont une forme et une répartition différentes d’une espèce à l’autre. Ces différences ne sont pas toujours évidentes à visualiser même pour des forestiers aguerris d’autant plus qu’il existe de nombreux hybrides. De plus, ces caractères morphologiques ne sont pas utilisables sur les grumes de chêne utilisées par les tonneliers qui s’approvisionnent en bord de route sur des arbres abattus.

Différence morphologique entre Chêne Sessile et Pédonculé

Traditionnellement le chêne sessile reconnu plus riche en composés aromatiques est privilégié pour le vieillissement des vins, alors que le chêne pédonculé quant à lui plus riche en tannins est davantage utilisé pour le vieillissement des spiritueux. Toutefois, plusieurs facteurs, tels que l’origine géographique, les conditions écologiques durant la croissance etc, engendrent une grande variabilité de cette composition moléculaire. Ainsi les connaissances acquises avec l’expérience, telles que la forêt d’origine des arbres, le grain ou largeur de cernes, ne peuvent pas non plus être utilisées avec certitude pour identifier l’espèce.

À ce jour, l’analyse génétique de l’ADN reste la seule méthode fiable pour la différentiation des espèces de chêne, mais elle nécessite l’utilisation de tissus frais comme les feuilles ou le cambium ce qui n’est pas toujours simple à mettre en œuvre et la comparaison des analyses des échantillons prélevés à des bases de données. C’est pourquoi, l’Institut de Chimie Organique et Analytique (ICOA UMR 7311) s’est attaché au développement d’une méthode d’analyse chimique par Chromatographie Liquide couplée à la Spectrométrie de Masse (UHPLC-HRMS) dans le but de trouver des molécules spécifiques de chaque espèce et ainsi de différencier sans ambiguïté ces deux espèces de chêne. Cette méthode directement applicable sur des échantillons de bois fraîchement abattus ou stockés sur les parcs à grume de tonnellerie simplifierait la reconnaissance d’espèces à la fois pour la filière forêt et pour l’industrie du bois.

...mais différentes de par leur composition chimique

Des échantillons de chêne sessile, pédonculé et de chêne hybride ont été prélevés dans dix forêts de la région Centre-Val de Loire au moment des coupes annuelles effectuées par l’ONF et le CNPF gestionnaires des chênaies publiques et privées de la région. À partir de ces rondelles de bois l’aubier et le bois de cœur ont été séparés, séchés et broyés à l’INRAE d’Orléans. Pour élargir l’échantillonnage, un second prélèvement a été effectué en merranderie* par la Tonnellerie Radoux sur des arbres déjà abattus disponibles sur le parc à grume et provenant de sept autres forêts françaises. Au total près de 200 échantillons de bois ont été récoltés. Une analyse génétique ADN a été réalisée au laboratoire BioForA (CGAF-ONF UMR 0588 INRAE Orléans) dans le but d’attribuer à chaque échantillon son espèce.

Chaque échantillon a ensuite été extrait aux ultra-sons à l’ICOA avec des solvants capables d’extraire une majorité des familles moléculaires présentes dans le bois. Une analyse non-ciblée permettant de prendre en compte un maximum de composés sans se focaliser sur certains en particulier a été développée par UHPLC-HRMS. Afin d’intégrer les profils chromatographiques pour pouvoir comparer les différents échantillons, une méthode de pré-traitement des données a ensuite été mise au point. Finalement des analyses statistiques non supervisées et supervisées ont été réalisées pour étudier la séparation des échantillons en groupe d’espèces et d’identifier les marqueurs moléculaires de ces espèces.

Aubier/bois de cœur : quelle partie pour la discrimination d’espèce ?

Après comparaison des profils par analyse statistique, il a été montré que l’aubier, la partie la plus externe et jeune du tronc ne discriminait pas les échantillons en fonction de leur espèce. En revanche, les extraits de bois de cœur, partie plus âgée et plus complexe du tronc contenant davantage de molécules discriminent, quant à eux, les chênes sessiles des chênes pédonculés.

Partial Least Square Discriminant Analysis (PLS-DA) discriminant la composition moléculaire des Chênes Sessile et Pédonculé

La Partial Least Square Discriminant Analysis (PLS-DA) présentée montre d’une part une séparation significative des deux groupes et d’autre part les variables (molécules) qui engendrent cette séparation. Ainsi, il est possible d’identifier ces composés discriminants.

Identification des marqueurs moléculaires d’espèces de chêne              

L’interprétation des spectres de masse, des schémas de fragmentation ainsi que la comparaison à des bases de données et à des données de la littérature ont permis aux chimistes d’identifier les structures des molécules discriminantes. Pour le chêne pédonculé ce sont majoritairement des composés terpéniques simples ou dimères telles que le roburosid A. Pour le chêne sessile les marqueurs sont moins nombreux et ont été identifiés comme étant des précurseurs de lactones et des triterpènes liés à des sucres appelés quercotriterpenosides.

Marqueurs moléculaires des Chênes Sessile et Pédonculé

Quel impact sur le vieillissement du vin ?

Afin d’étudier l’impact de l’espèce de chêne sur le vieillissement des vins de Val-de-Loire. Plusieurs cépages ont été étudiés, deux rouges (cot et cabernet) et un blanc (chenin). Les vins ont été vieillis pendant 4 mois en présence de chêne sessile d’un côté et de chêne pédonculé de l’autre. Les premières analyses des vins boisés, montrent bien des différences en fonction de l’espèce utilisée, avec notamment une plus forte concentration de whisky-lactones lors d’un boisage par le chêne sessile. Ces résultats sont appuyés par l’analyse sensorielle où l’on détecte pour ces mêmes vins un goût noix de coco, caractéristique de ces composés, plus prononcé.

Le projet de Recherche APR-IR -Chêne&Vin porté par l’Université d’Orléans et financé par la région Centre-Val de Loire a reuni :

  • Des acteurs de la filière forestière (ONF, CNPF et Fibois) gestionnaires des forêts publiques et privées de la région ayant la connaissance des espèces de chênes présentes sur le territoire et de leur répartition.
  • Des acteurs de la filière viticole la Tonnellerie Radoux, et l’IFV d’Amboise ayant la connaissance des cépages du Val de Loire et des produits et méthode d’œnologie.
  • Des laboratoires académiques (ICOA-UMR CNRS 7311, BioForA-UMR INRAE 0588) pour le développement des méthodes de discrimination de espèces de chêne et d’analyse des vins.

*image d'illustration ©Paul Robin Tonnellerie Radoux