Le rôle du statut nutritif dans la résistance à la sécheresse des arbres

Publié par Centre INRAE Val de Loire, le 13 novembre 2017   2.1k

Des causes physiologiques multiples peuvent conduire à la mort des arbres lors d’épisodes de sécheresse. Les interactions entre les effets du manque d'eau et de la disponibilité en nutriments demeurent encore peu explorées. Des recherches sur le rôle du statut nutritif dans la résistance à la sécheresse des arbres sont en cours au sein du Laboratoire de biologie des ligneux et des grandes cultures (LBLGC, Université d’Orléans), unité sous contrat de l’Inra. Explications de Régis Fichot, enseignant-chercheur en écophysiologie forestière.

Les dépérissements forestiers ont considérablement augmenté au cours des vingt dernières années sur l’ensemble du globe, la raison principale étant en partie attribuée à l’augmentation des évènements climatiques extrêmes de type sécheresse. Bien que facilement appréhendables a priori, les causes physiologiques conduisant à la mort des arbres lors d’épisodes de sécheresse sont en réalité complexes et multiples.

Mourir de soif ou mourir de faim ?

Deux principaux mécanismes ont été proposés : les dysfonctionnements de l’appareil vasculaire et l’épuisement des réserves. Dans le premier cas, la sécheresse entraîne une diminution progressive de la capacité de conduction de la sève brute suite à l’embolie (1) des vaisseaux conducteurs, pouvant conduire, à terme, à la mort par déshydratation. Dans le second cas, la sécheresse entraîne une diminution progressive de la photosynthèse, pouvant conduire, à terme, à un bilan carboné négatif et à la mort par épuisement des réserves. Le dilemme est donc simple : mourir de soif ou mourir de faim ! La part relative des deux mécanismes dans la mortalité peut être variable et dépend  in fine de la combinaison [intensité × durée] de la contrainte (Figure 1) ainsi que des stratégies de réponse des arbres.


Figure 1 : Schéma conceptuel représentant le continuum [durée x intensité] de la sécheresse, les risques de mortalité associés et le rôle potentiel du statut nutritif dans la dynamique de réponse des arbres (R. Fichot, adapté de Gessler et al. 2017)© Université d’Orléans (LBLGC), Régis Fichot

Pourquoi s’intéresser au statut nutritif dans un contexte de sécheresse ?

La disponibilité en nutriments représente, avec la disponibilité en eau, l’un des facteurs abiotiques limitant le plus la productivité des forêts. En pratique, les deux facteurs peuvent varier indépendamment. Pourtant, si l’on connaît bien les effets de la sécheresse sur la physiologie et la croissance des plantes, et peut-être encore mieux les effets du statut nutritif, les effets interactifs demeurent encore peu explorés et difficilement prédictibles.

Le peuplier comme modèle d’étude

Depuis plus de quinze ans, l’équipe ARCHE - Arbres et réponses aux contraintes hydriques et environnementales - du LBLGC développe des travaux sur la réponse à la sécheresse des arbres avec, comme modèle principal d’étude, le peuplier. Pourquoi le peuplier ? Pour des raisons à la fois conceptuelles, pratiques et économiques. Les peupliers étant pour la plupart inféodés aux terrains bien alimentés en eau, ils font partie des arbres des régions tempérées les plus sensibles à la sécheresse. Leur facilité de multiplication végétative, ainsi que leur vitesse de croissance rapide, en font également d’excellents supports d’expériences, tant en serre qu’en conditions extérieures. L’existence d’un nombre important de supports biotechnologiques, dont un génome séquencé depuis 2006, en fait par ailleurs un excellent candidat pour les études génétiques et moléculaires.

Enfin, la culture classique du peuplier et les taillis à courtes et très courtes rotations dédiés à la production de biomasse représentent une ressource importante pour les filières bois-matériaux et bois-énergie.

Premiers résultats et perspectives de recherches

Les premiers résultats, obtenus en serre sur de jeunes plants en pots, montrent que les arbres ayant reçu une dose d’azote plus forte sont intrinsèquement plus vulnérables à l’embolie, donc a priori plus enclins aux dysfonctionnements hydrauliques (Figure 2). Cependant, contrairement aux attentes, la durée de la sécheresse conduisant au seuil létal par embolie reste la même quelle que soit la dose d’azote, d’autres mécanismes comme la chute précoce des feuilles permettant de compenser la plus forte vulnérabilité à l’embolie. Par ailleurs, les arbres ayant reçu une dose d’azote plus forte investissent davantage dans la croissance aérienne au détriment de réserves glucidiques plus faibles ; les arbres poussant dans des milieux plus favorables à la croissance pourraient donc être prédisposés aux effets négatifs de la sécheresse sur le long terme.

Figure 2 : Courbes de vulnérabilité à l’embolie en réponse à la sécheresse chez deux cultivars de peupliers soumis à deux modalités de fertilisation azotée. Les courbes de vulnérabilités, de forme sigmoïde, représentent l’évolution du taux d’embolie à mesure que la tension de sève devient de plus en plus négative en réponse à la sécheresse. Pour les deux cultivars présentés ici, la fertilisation azotée accroît la vulnérabilité à l’embolie de façon significative. (R. Fichot)© Université d’Orléans (LBLGC), Régis Fichot

D’autres expériences sont en cours afin d’évaluer notamment le rôle du statut nutritif lors d’épisodes de sécheresse récurrents. Ces expériences en serre sont complétées par un dispositif de plus grande ampleur en pépinière. Ce dispositif, installé sur le centre Inra Val de Loire à Orléans depuis 2015, combine deux modalités de disponibilité en eau avec deux niveaux de fertilité et a pour objectif d’évaluer le rôle du statut nutritif dans la réponse à la sécheresse sur le long terme en prenant en compte les variations saisonnières et interannuelles. Ces expériences fourniront des informations importantes dans l’optique d’améliorer la résistance et la résilience à la sécheresse des forêts plantées via la sélection de matériel végétal performant et la mise en place de pratiques sylviculturales adaptées.

Ces travaux bénéficient d’une allocation de recherche du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche - thèse de doctorat de Laure Bouyer 2015-2018, Université d’Orléans, et d’un financement de la Région Centre – Val de Loire (projet 2E-BioPop 2018-2020). 

1) Embolie : processus pouvant conduire à un arrêt de la circulation de la sève brute et à la mort de la plante par déshydratation.

LE LBLGC

Le Laboratoire de biologie des Ligneux et des Grandes Cultures (LBLGC), unité sous contrat de l’Inra, a été créé en 1996 et, historiquement, regroupe tous les enseignants-chercheurs de l’université d’Orléans du pôle biologie et biochimie travaillant en physiologie végétale, en entomologie et biologie animale, soit 43% de l’effectif du pôle. Les recherches du laboratoire sont organisées autour de deux visions scientifiques. D’une part, un groupe de chercheurs travaille sur les interactions plante-insecte et l’adaptation des insectes aux changements globaux. D’autre part, un autre groupe de chercheurs se consacre aux questions liées à la réponse des arbres aux contraintes hydriques et environnementales. Le LBLGC est une unité de recherche de l’université d’Orléans qui dépend du département Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques (EFPA) de l'Inra sous forme d’unité sous contrat (USC) et qui comprend 23 enseignants-chercheurs et autant de techniciens, ingénieurs, post-doctorants et thésards. Le LBLGC accueille également chaque année plus d’une douzaine d’étudiants de niveau master pour des stages. Ce personnel est réparti sur deux sites, l’antenne universitaire de Chartres et l’UFR sciences et techniques à Orléans (Campus de La Source), ce qui représente quatre équipes de recherche. En savoir plus : site du LBLGC